dimanche 26 juillet 2015

La contre-heure | Sébastien Hoët


Editions Kero
Contemporain
216 pages
15,90 format papier
11,99 format numérique
Parution le 31 août


« Au milieu de la classe, une petite coiffée d’un chou marron le fixait derrière un épais binocle en tremblant. Elle expectorait de temps en temps un nom grec ou latin quand Gilles posait des questions d’étymologie ou de mythologie, avec une parfaite exactitude, avant de retomber dans son mutisme frileux. Gilles aimait bien les grosses maghrébines blondes qui ne comprenaient rien, qui lui soutenaient que le mot « aléa » n’existe pas, qui lui parlaient de l’allégorie de la Caserne si ce n’est de la Taverne, mais témoignaient les unes aux autres une telle amitié généreuse, et une telle joie de vivre, qu’il en était ému. Elles le maternaient et le respectaient profondément. Il le leur rendait bien. Colmatant les brèches, les autres gamines menaient une vie végétative, hagarde. »

Gilles est professeur de philosophie dans un lycée. Il est séduisant, brillant, un brin iconoclaste, témoin halluciné de la médiocrité moderne. Ce jour de rentrée commence bien mal puisque Victoire, une élève de première, s’est défenestrée du troisième étage du lycée. Une nouvelle année de débâcle dans les couloirs de l’Éducation nationale ? Une jeune femme aux yeux verts y apparaît pourtant, qui pourrait changer le monde. D’une écriture claire et féroce, Sébastien Hoët réussit un premier roman à la forte personnalité, qui, avec intelligence et humour, n’épargne pas grand monde.


Mon avis

Je remercie les Editions Kero, qui m'ont permis de découvrir ce livre.

Ce roman m'a laissée très perplexe. Et pour cause, à la lecture du résumé, je m'attendais à une intrigue très centrée sur l'affaire du suicide de Victoire, une élève du lycée dans lequel Gilles, le personnage principal, enseigne. En effet, cette élève s'est défenestrée du troisième étage de l'établissement, pour des raisons inconnues. Ma ça n'a pas été le cas. L'histoire est bien plus centrée sur Gilles, qui est un anti-héro très réussi, il est témoin du changement de la société, de la "médiocrité moderne" comme le dit le résumé.

Il se fait de nombreuses réflexions sur ces changements dans divers domaines, comme la littérature, le milieu de l'édition (je dois avouer avoir été partiellement d'accord avec les réflexions sur ce domaine-ci) les femmes, l'amour, l'enseignement... Il compare notamment avec beaucoup de succès les enseignants d'avant, "espèce en voie de disparition", avec les enseignants d'aujourd'hui, les jeunes enseignants, qui sont totalement connectés et modernes.

Avec humour et justesse, il n’épargne pas grand monde, c'est vrai. J'ai beaucoup apprécié l'écriture, simple mais fluide et très efficace. Ce qui m'a parfois légèrement gênée, ce sont les nombreuses références, à certains écrivains que je ne connaissaient pas du tout, mais cela m'a permis d'apprendre, justement, à les connaître.

À intervalles régulier, des petits chapitres sont consacrés à Victoire. Ces chapitres sont à la première personne du singulier, contrairement au reste du roman, ce qui peut être un peu perturbant au départ, mais on finit par comprendre la démarche. L'utilisation de ce mode de narration uniquement sur ces petites brides rend le discours de Victoire encore plus frappant, d'un coup, elle est plus proche de nous, c'est comme si elle s'adressait au lecteur. Ainsi, on comprend encore mieux son mal-être, ce qui l'a poussée à commettre l’irréparable. J'ai aimé ces petits chapitres, que j'ai trouvés trop courts à mon goût.

Au fil des pages, je me suis rendu compte que Gilles, derrière son personnage d'homme sûr de lui, cache également un mal être, qui le rend proche de cette élève de première qui pouvait lui sembler insignifiante. Depuis l'enfance, il se sent à part, comme enveloppé, coincé dans quelque chose de trop étroit. J'aurai aimé que le lien entre ces deux êtres (qui tous les deux, souffrent) soit davantage fait.

Gilles fait la connaissance d'une nouvelle professeure d'anglais, à la rentrée. Celle-ci lui plaît physiquement mais au niveau des convictions, elle est son opposée. Elle représente toute cette évolution dans la façon de penser, d'être et de vivre, que Gilles rejette et critique. Mais malgré tout, elle l'attire. Je n'ai pas réussi à m'attacher à elle, pour une raison que je n'arrive pas vraiment à définir. 

Globalement c'est un roman très psychologique, qui m'a personnellement fait réfléchir sur pas mal de choses. J'ai été touchée par l'histoire de Gilles, par son passé, ses incertitudes quant à lui-même et sa capacité à séduire les gens. Mais je l'ai également été par Victoire. J'aurai tellement aimé que leurs deux histoires se mêlent davantage, que ce ne soit pas seulement une succession de chapitres, avec l'un qui parle de lui et l'autre d'elle ! À mon avis, tourné comme ceci, ce roman aurai peut être bien pu être un coup de cœur pour moi. Une très bonne lecture tout de même.


Des petites brides 

« Ecrire ne consiste pas à poser les mots, ni même à user d'une langue maîtrisée, écrire c'est voir enfin, garder, préserver, et rendre aux autres, faire voir, faire jaillir, laisser d'effuser ce qui ne nous apparaît pas dans la répétition des jours mais, seul, invariablement, est. »

« Je suis à la lisière du jour dans la nuit, l'entaille de nuit dans le jour. »

« Je suis la charnière, je suis le pivot, je suis le basculement. »



4 commentaires:

  1. Intéressant ! Je ne connaissais pas, merci pour la découverte.

    RépondreSupprimer
  2. Je crois bien que c'est la première fois que je suis autant curieuse de découvrir un livre en lisant une chronique !

    RépondreSupprimer